Cette semaine, en peignant ces esquisses de pins sylvestres je me suis souvenu de mes années estudiantines au Japon où on peut trouver des tas de pins semblables, bien typiques du pays.
Lorsque je faisais mes études au Japon, j’ai pris l’occasion de mieux connaitre l’art traditionnel japonais. Le Japon a une histoire assez particulière – le pays s’est isolé pendant plus de deux siècles jusqu’en 1860 et, par conséquent, l’archipel et son art ont évolué presque entièrement sans influence extérieure. Pendant cette période, l’art de l’estampe imprimée sur bois s’est popularisé. Les touristes, devenus de plus en plus nombreux, en étaient très friands. Certaines estampes montraient des acteurs reconnus ou de belles femmes, d’autres des paysages. Ce sont les paysages ou plus particulièrement leur composition qui m’intéressent. Ce dernier peut être classique, parfois excentrique, et de temps à autre une source d’idées pour mes propres tableaux. Voici quelques œuvres de Hiroshige (1797-1858) dont les estampes sont parmi les mieux connues.
La composition est une ligne diagonale bien classique avec un premier, deuxième et troisième plan. Je trouve les paysages enneigés de Hiroshige en générale bien réussis, sans doute parce que les ombres très atténués que l’on trouve habituellement dans les estampes japonaises ne sont pas bien loin de la réalité les jours de neige quand le ciel est couvert. On aperçoit tout juste en haut à droite une maison qui est sans doute la destination des vaillants voyageurs: un joli coup final dans cette composition.
Cette estampe « à l’érable » me semble un peu étrange. Les branches de l’arbre encadrent la vue, ce qui est certes, une idée intéressante, mais les feuilles la cachent (je trouve agaçante leur position au beau milieu de l’horizon et les placerais légèrement vers la droite). Elles sont cependant dessinées avec soin et le coloriste a parfaitement capturé l’évolution lente des rouges sur les lobes qui se manifeste avec l’arrivée de l’automne.
Certains impressionnistes et d’autres artistes tels que Van Gogh, Gustav Klimt et Alphonse Mucha se sont intéressés aux estampes japonaises. James Abbott McNeil Whistler semble avoir trouvé de l’inspiration dans ce tableau de Kyobashi en peignant sa toile du pont de Battersea (ci-dessous). Comme Hiroshige, Whistler choisit les bleus de la lumière du soir avec des taches de blanc cassé ou jaune pour indiquer au loin des petits points de lumière, et place un personnage sous le pont pour donner une meilleure idée de sa taille.
Le tableau suivant est truffé de diagonales, de lignes parallèles et de répétitions. Les diagonales ne sont pas une rareté dans la composition, le concept a servi un peu dans l’art de la Contre-Réforme, mais il peut, à mon sens, donner un aspect lourd et complexe. D’une manière générale, un paysagiste se doit d’éviter des lignes parallèles (la pluie battante ici) – une certaine variété est préférable. Il y a aussi les rangs serrés des arbres derrière les voyageurs qui sont très répétitifs et justement dans la composition la répétition est encore une chose à éviter, la plupart du temps. Ceci dit, cette image me semble harmonieuse. Devrais-je donc ne plus faire attention à mes règles de composition?
Ci-dessous nous avons encore une vue d’Edo mais celle-ci est bien typée (des pins noirs, des toits de chaume, de rizières, le mont Fuji au loin et des paysans qui marchent lourdement le long d’un chemin bucolique). Ici nous trouvons une profondeur dans l’image, une circularité dans la composition au premier plan et une variété dans les lignes. Tout est harmonieux.
Et voici plusieurs photos du Japon prises quelques années après la mort de Hiroshige, quand le pays était extraordinairement pittoresque (il l’est toujours ici et là et parsemé aussi de pins un peu comme ceux que j’ai peints cette semaine, mais hélas, les gris tristes du béton se sont propagés comme des mauvaises herbes). Les clichés nous montrent bien que Hiroshige exagérait à peine quand il a produit ses paysages au dix-neuvième siècle.