Lorsque j’étais étudiant d’art à Florence, le maître d’atelier Charles Cecil avait tendance à bien insister sur certains aspects de notre formation. Il nous exhortait, et dans notre peinture, et dans notre composition de tableaux, à bien garder en tête l’idée du «tout ensemble»*. Je trouve qu’il vaut la peine de parler de ce concept de façon plus détaillée.
Le tout ensemble: voilà une phrase qui peut paraitre ésotérique, mais l’idée est simple. Il est souvent tentant pour un débutant de tâcher de terminer une section d’un tableau avant de passer à une autre. Par exemple sur un portrait, l’apprenti pourrait commencer par le nez, puis se tourner vers l’œil gauche ou la bouche et ainsi de suite, de sorte qu’il se retrouve à la fin avec un rassemblement de parties de visage qui individuellement seraient bien exécutées, mais qui dans l’ensemble produiraient une ressemblance dissonante. De la même façon, une nature morte d’objets dispersés, disparates et de couleurs différentes, quoique admirablement peinte, aurait un air peu harmonieux voire fragmenté et manquera d’unité ou… de tout ensemble.
Pour arriver à produire ce tout ensemble, le peintre doit se placer à plusieurs mètres et de son tableau et de son modèle afin d’avoir une vue intégrale de l’image et de garder en tête une idée cohérente de son apparence finale. L’artiste doit travailler de sorte que le tableau évolue progressivement dans son ensemble et non pas par section. S’il se sert d’une palette de couleurs bien restreinte, cela l’aidera également à unifier l’image. En outre, il doit rassembler autant que possible les tonalités sombres ou claires du tableau et éviter de les éparpiller un peu partout ce qui pourrait s’avérer distrayant.
Ici se trouvent quelques tableaux qui me semblent dotés d’un tout ensemble remarquable surtout dans la composition, les couleurs et les tonalités.
Gassed par Sargent ci-dessus a une forte unité de couleur (la palette est très limitée) et de ton.
L’unité de l’image à droite, par Seago se trouve surtout dans sa composition – les bateaux semblent se rassembler pour mieux combattre le froid et la brume.
Dans son portrait des sœurs Wyndham ci-dessus, Sargent a commencé à peindre la robe du personnage central, Pamela, en bleu, mais il s’est ravisé en décidant de repeindre la robe dans les mêmes couleurs que les robes des deux autres sœurs, car il estimait que le bleu de la robe nuirait au tout ensemble. Cependant, une partie du bleu reste tout juste visible.
Dans le portrait ci-dessus, Zorn a su unir le tableau par le positionnement des tonalités (la lumière tombe presque exclusivement sur le modèle) et dans le coup de pinceau qui donne un sentiment de mouvement rapide de la robe et des bras.
Certains d’entre vous ont peut-être travaillé dans le cinéma, la photographie ou la conception de produits. D’autres ont éventuelllement été architectes ou créateurs de mode: dans ces domaines, comme dans l’art, le “look” d’un produit est primordial. Le concept du tout ensemble n’est ni nouveau ni limité au monde de l’art: il se trouve dans le Parthénon et encore dans un film de Kurosawa… un costume Chanel ou la voiture coccinelle de Volkswagen, comme il se trouve également dans le magnifique tableau « Gassed » de Sargent.
*en français dans le texte